Bobin / Souveraineté du vide

  

Vous seriez loin de votre vie. Comme toujours, n’est-ce pas un état ordinaire, banal. Le corps irait tout seul vers l’abime, avec l’élan acquis de l’âge. Et sous la fraîcheur du sang, une faiblesse, une cendre. Une nostalgie l’âme. Malade, oui.Sans doute : malade. Le vrai nom de la maladie, ce serait l’enfance. Comme telle, inguérissable. Elle aurait aussi un autre nom : la vie. Ce ne serait en rien une vie intérieure, une arrière-vie, une clairière momentanément hors d’atteinte et dans quoi, par un clair matin, l’on Pourrait Pénétrer. Ce serait une maladie, voilà tout, et la conscience que vous en auriez serait aussi bien la conscience de l’insuffisance profonde de tous remèdes. Un jour dans cette absence égale, chronique, vous recevriez ces lettres, trois lettres. L’apparence serait celle d’un livre. L’auteur, ce serait vous, c’est-à-dire un autre. Un Passant. Une ombre, lointaine. Personne.

©Christian Bobin, Fata Morgana, 1985
©Photographie de Guillaume Hoogveld #2022