George HERBERT (1593-1633) / Le poème qui éveilla la foi de Simone Weil

LOVE

Love bade me welcome ; yet my soul drew back,
Guiltie of dust and sin.
But quick-ey’d Love, observing me grow slack
From m’y first entrance in,
Drew nearer to me, sweetly questioning
If I lack’d anything.

A guest, I answer’d, worthy to be here.
Love said, You shall be he.
I, the unkinde, ungrateful ? Ah, my deare,
I cannot look on thee.
Love took my hand and smiling did reply :
Who made the eyes, but I ?

Truth, Lord ; but I have marr’d them : let my shame
Go where it doth deserve.
And know you not, says Love ; who bore the blame ?
My deare, then I will serve.
You must sit down, says Love, and taste my meat.
So I did sit and eat.

 

Traduction de Jean Mambrino :

Amour

Amour m’a dit d’entrer, mon âme a reculé,
Pleine de poussière et de péché.
Mais amour aux yeux vifs en me voyant faiblir
De plus en plus, le seuil passé,
Se rapprocha de moi et doucement s’enquit
Si quelque chose me manquait.

Un hôte, répondis-je, digne d’être ici.
Or, dit Amour, ce sera toi.
Moi, le sans-coeur, le très ingrat ? Oh mon aimé,
Je ne puis pas te regarder.
Amour en souriant prit ma main et me dit :
Qui donc fit les yeux sinon moi ?

Oui, mais j’ai souillé les miens, Seigneur. Que ma honte
S’en aille où elle a mérité.
Ne sais-tu pas, dit Amour, qui a porté la faute ?
Lors, mon aimé, je veux servir.
Assieds-toi, dit Amour, goûte ma nourriture.
Ainsi j’ai pris place et mangé. »

Poème cité par Simone WEIL dans une lettre à Joë BOUSQUET.