Pourquoi la Musique m’a sauvé la Vie

Pour mon père, ce héraut aux nouvelles toujours affriolantes, au conteur invétéré

J’aimais la musique comme tous les adolescents, et lors de longs trajets en voiture vers les Pays-bas dont je suis originaire, mon père, m’a fait découvrir non pas un compositeur, mais un interprète « fantaisiste » de Bach principalement, très controversé, Glenn Gould. C’étaient les Variations Goldberg, enregistrée en 1982, peu de temps avant sa mort.

Et là, ce fut mon ticket permanent vers l’univers total de la Musique, j’avais ouvert la brèche, une échappée qu’on ne peut plus refermer derrière soi, mais qu’on se doit de communiquer aux autres, avec toute sa « science émotionnelle ».

Avant cette « conversion » aux notes cristallines du Bach de Gould, j’écoutais principalement de la pop anglaise et j’étais un fan complet du groupe anglais Cure comme beaucoup d’adolescents. Leurs mélodies froides et mélancoliques me berçaient d’un doux et ténébreux spleen. Le jeu de guitare de Robert Smith me possédait. Il arrivait, comme font les orientaux avec la cythare ou le oud, à créer une intensité mélodique hypnotique en jouant de longues minutes sur très peu de notes de guitare. Il a créé un langage. Tout est là.

Quant à Gould, il m’a ouvert les portes de Bach par son « drive » diraient les jazzmen, sa clarté polyphonique, sa maîtrise insolente de toute l’œuvre du cantor dont il a déclaré lors d’un entretien télévisé, avoir repéré une erreur de contrepoint sur une partition. Quelle audace, que dis-je, quelle effronterie ! Gould avait si bien « intégré », conceptualisé l’œuvre de Bach qu’il n’avait plus besoin de la jouer pour en jouir. Il avait son langage dans les hautes sphères de son Esprit.

Le contrepoint, c’est la progression simultanée des différentes lignes mélodiques, opposé à l’harmonie, une progression qui prend l’allure d’une fugue, d’une fuite sans fin pourrait-on dire lorsqu’on se jette à corps perdu dans le clavier bien-tempéré. C’est l’ivresse du contrepoint associée au jeu de Gould qui m’a ouvert les portes de la littérature pour clavier du Maître, à travers l’Art de la Fugue, et les merveilleuses Partitas. Mon oreille, mes sens se sont éveillés. J’étais prêt pour le grand saut.

Bach m’a tout donné. Bach est un cheminement vers le Divin, et ses notes nous accompagnent, du plus grand désespoir, de la déréliction maudite au sacre de la grâce. Bach est Présence, dans sa clarté, Bach est Présence, dans sa sublime simplicité, dans son absence totale de superflu.

Pour finir, ce qui frappe chez Bach, c’est sa parfaite alchimie entre sa rigueur luthérienne et son impact émotionnel fulgurant. C’est là son énigme que je ne pourrais jamais résoudre. Et c’est très bien ainsi.

J’ai cheminé à travers les âges, après le baroque et Haendel & Vivaldi, contemporains du Maître, j’ai effleuré Mozart dont je n’ai jamais été un fervent mélomane excepté les andante des concertos pour piano, le concerto et quintette pour clarinette et le Requiem, bien sûr.
Mozart ne porte pas le poids de l’Humanité sur ses épaules. Ce n’est pas un compositeur mystique, mais divin. Il ne souffre pas avec nous. Bach nous porte avec lui aux portes du paradis, mais Mozart plane déjà en son cœur ; d’où le caractère parfois fluet, aérien, léger, gracieux et distant qu’il donne à entendre. Mozart n’est déjà plus là, si ce n’est lors de ces derniers mois d’agonie et son obsession de la mort qui l’a poussé à rédiger son chef d’œuvre universel, son Requiem.

J’ai découvert ensuite un compositeur contemporain devenu célèbre depuis, Arvo Pärt, estonien né en 1935. Avec Bach, Pärt a changé ma Vie, il a innervé ma Vie de sa musique minimaliste hypnotique et…mystique. Après une période de collages et de musique sérielle, Pärt a composé de la musique vocale inspirée des polyphonies et du plain-chant du moyen-âge et de la renaissance (Ockeghem, Machaut, Josquin). Il a créé son propre style dans des pièces orchestrales ou vocales dépouillées où le silence est roi. Son Miserere (1991) est un long contrepoint ascendant qui culmine par une implosion orchestrale qui enchaîne sur un chant ponctué de merveilleux silences. Chez Pärt, l’art du son, c’est le silence. Le silence ou la présence de l’absence. Et parfois la simple résonance d’une cloche, qui vient rythmer la mesure.

Oublions quelques instants le pessimisme excessif d’Arthur Schopenhauer et entendons ses écrits sur la musique, qui sont passionnants.
Schopenhauer pense que la musique est un art capable d’atteindre directement la volonté elle-même, sans passer par l’objectivation de l’idée : « La musique nous donne ce qui précède tout forme, le noyau intime des choses, elle est le plus profond et le plus puissant de tous les arts ». Bien au-delà d’une sentimentalité individuelle, c’est le monde même, comme volonté, qui est répété dans l’harmonie des notes. D’où son aphorisme magnifique :

« La Musique aurait pu exister sans que le monde existât »

Pourquoi la Musique m’a sauvé ma Vie

Revenons à la célèbre citation de Nietzsche : « Sans la Musique, la Vie est une erreur, un exil, une besogne éreintante »
La Musique me structure, elle donne un sens et un « rythme apaisant » à mes angoisses. Bach, Haendel, Vivaldi et Pärt m’apportent plus qu’une consolation, une véritable lumière à mes jours. Loin de moi la besogne éreintante, le seul exil que je connaisse est un voyage à travers les correspondances (synesthésies), les mots que je place en réponse à une tonalité, les poèmes que je rédige suite à une mélodie.
La Musique, je l’aime tant que j’ai toujours avorté mes velléités d’apprentissage du solfège car je voyais fondre et disparaître le mystère sacré qu’elle représente pour moi. Je voyais travail, efforts, rigueur, maîtrise de soi derrière la dimension sacrée et immaculée que je lui porte. Tant pis, je préfère mourir idiot que désenchanté !

MS©