Je vous écris d’un pays lointain

Extraits. 5e lettre d’un ensemble épistolaire réunissant 12 textes sous le titre « Je vous écris d’un pays lointain » extrait du recueil « Lointain Intérieur ». Chaque lettre est envoyée par un personnage féminin, habitante de ce pays, à un destinataire inconnu. Elles proposent toutes une description de l’environnement, de la vie quotidienne sur ces terres étrangères qui semblent être exclusivement peuplées par des femmes.

Est-ce que l’eau coule aussi dans votre pays ? (je ne me souviens pas si vous me l’avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c’est bien elle. Est-ce que je l’aime ? Je ne sais. On se sent si seule dedans quand elle est froide. C’est tout autre chose quand elle est chaude. Alors ? Comment juger ? Comment jugez-vous vous autres, dites-moi, quand vous parlez d’elle sans déguisement, à cœur ouvert ?

Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et I’arbre, et nous nous dispersons gênées. Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent ? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours ?
Il y a aussi des remuements souterrains, et dans la maison comme des colères qui viendraient au-devant de vous, comme des êtres sévères qui voudraient arracher des confessions. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?

Je ne peux pas vous laisser sur un doute, continue-t-elle, sur un manque de confiance. Je voudrais vous reparler de la mer. Mais il reste l’embarras. Les ruisseaux avancent ; mais elle, non. Écoutez, ne vous fâchez pas, je vous le jure, je ne songe pas à vous tromper. Elle est comme ça. Pour fort qu’elle s’agite, elle s’arrête devant un peu de sable. C’est une grande embarrassée. Elle voudrait sûrement avancer, mais le fait est là. Plus tard peut-être, un jour elle avancera.

Henry Michaux ©