Sonia Branglidor / La nuit en vrac

 

Et il y a la dimension prodigieuse de la vie,cette douleur brûlante de ne pas être à la hauteur des choses les plus laides, les plus médiocres, les plus crasseuses, les plus répétitives et les plus monotones,et ce ciel de merde qui se lève la nuit et qui chante pour les pétés, pour les taches, pour les Verlaine aussi, qui n’avaient pas de bistrot spécial poète, et qui se traînaient l’âme avec des vautrés de service, avec la mort, avec la leur de mort, aux poètes, qui se pendent aux lanternes du vide, comme des soleils écrasés de pourriture, comme des plumes légères, vides de tout, n’y croyant plus, comme Van Gogh dans son soleil, comme Nerval dans sa ruelle, et comme l’inconnue qui ne veut plus sourire, là, très loin de la vie,comme ils dansent. Très vide, tout ça, comme une souffrance, très fort, le vide, très prenant. Mourir de rien, c’est toujours — et de quelque chose, c’est parfois, aliquando, maybe. On verra.

 

Un jour, on me dira
Va te faire taper sur la gueule
Puisque t’aimes ça
Puisque t’es pas foutu de sortir de ta merde
Et ce jour-là, je partirai
A l’intérieur de moi, comme un Indien
Et comme un fou de solitude refusée
Je ne sais où j’irai
Et sûrement que nulle part c’est bien
Il a raison le poète
Personne ne peut rien pour personne
Un jour, on me dira
Fais pas porter ta peine à ton voisin
Et moi qui suis le porte-peine
Je partirai pour ça, qu’on m’aura dit
C’est tout

 
A ceux qui ne partent jamais
A ceux qui ne peuvent plus partir A ceux qui, blafards de fatigue et de dettes
Creusent leurs jours comme sillons
De mort ou de moisson
A ceux-là qui ne veulent plus partir
A ceux-là qui ne veulent plus rien
Et qui, de leur silhouette,
ardentent la solitude
Des arbres de l’hiver
A ceux qui ne rêvent plus
A ceux-là, simplement,
Je donne le bonsoir
Des grandes capitales
blessées, furtives, et violentes

 

© Sonia Branglidor, extraits d’ « Une nuit en vrac », publié aux Éditions Librairie-Galerie Racine, 2001

© Photographie d’Alfred Hoogveld, Août 2022, île de Nantes, Palais de Justice Jean Nouvel