Cyrano de Bergerac – Intégralité de la lettre à Roxanne

Première version de la Lettre à Roxane

Une flèche en plein cœur peut du ciel être un don
Quand l’archer qui l’envoie se nomme Cupidon.
Moi, mon cœur a saigné sans qu’aucun médecin
N’ait pu cicatriser cette plaie du destin.
Je vous aime Roxane, et plus longtemps ne puis
Retenir cet aveu qui de ma main s’enfuit.
Plus de cent fois déjà tout mon être a tremblé
Au moment fatidique où j’allais le confier.
Mais je suis pétrifié au son de votre voix
Et je m’évanouis de peur quand je vous vois.
Je vous aime n’est pas chose facile à dire
Quand celui qui l’avoue n’est pas loin d’en mourir,
Et craint plus que la mort que sa déclaration
Vous soit du même effet qu’une déclamation.
Et si la crainte existe à devoir vous l’écrire,
Mon cœur, sans me trahir, se met seul à rougir.
Vous aimer est folie quand on a mon visage.
La nature chez moi a raté son ouvrage,
N’offrant à vos regards qui sont un pur délice
Que l’indélicatesse d’un nasal appendice.
Mais le cœur ne peut se complaire à la raison
Et se plait à rêver d’une douce illusion :
Que l’être tant aimé, celui qui vous est cher,
Ne voit que l’émotion et non le bout de chair.
Je vous aime en secret depuis le premier jour
Et je frémis d’espoir, souhaitant qu’à leur tour,
De ce que je vous dis, vos lèvres adorées
Me rendent un écho qui serait un baiser.

Combien de fois tremblant, de peur de vous déplaire,
J’ai choisi de souffrir en préférant me taire.
Faisant le mauvais choix, j’étouffais de douleur
A ne vouloir jamais laisser parler mon cœur.
Mais l’heure est arrivée de déclarer ma flamme
A l’être cher pour qui je donnerais mon âme.
L’élégance eut été de vous le confesser
De vive voix bien sûr, et non sur un billet.
Qu’importe le moyen pour peu que je le dise :
Je vous aime à mourir, mais de façon exquise,
Car pourrait-on rêver destin plus merveilleux
Que d’être naufragé dans l’éden de vos yeux…
Je frissonne d’émoi et sens monter la fièvre
A la seule pensée du dessin de vos lèvres…
Tout mon corps est transi au son de votre voix
Et je m’évanouis de peur quand je vous vois.
Pardonnez l’émotion de celui qui vous aime…
(Pas besoin de signer. Je la donne moi-même)